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Une tranche de vie au Panama
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24 juin 2019

La destinée improbable d'un petit chapeau

The Panama hat!En voyant tous ces chapeaux blancs lors de la finale de Roland-Garros, et puisque certains me l'avaient demandé, je me suis dit que c'était de saison de vous parler du chapeau Panama et de son histoire. 

Une fois de plus, le canal de Panama a joué un rôle primordial dans cette histoire et je ne me prive pas de l'envie de vous la raconter.

Revenons un peu en arrière dans le temps. Fin du XIXeme siècle: Fredinand de Lesseps, éminent diplômate français de l'époque, jouit d'un très grand prestige acquis par le succès de la construction en 10 ans du Canal de Suez (1859-1869).

Ferdinand De LessepsFort de cette réussite, l'ambitieux diplômate, souhaite réitérer son entreprise au Panama en réalisant le canal imaginé depuis déjà le XVIème siècle, et sans écluses (comme à Suez). Les travaux commencent en 1880 grâce à une collecte de fonds géants à la Bourse de Paris. Quand vous viendrez au Panama, vous pourrez visiter l'excellent musée du Canal qui raconte avec beaucoup d'illustrations et de photos cette période. Mes les travaux s'enlisent. Les ouvriers meurent par milliers dans ce pays qu'ils finissent par considérer comme maudit, ignorant encore que les moustiques sont responsables des mystérieuses maladies qu'ils contractent (fièvre jaune et malaria). 12 ans après leur arrivée, en 1892, 20 000 ouvriers sont morts. Après avoir tenté d'ouvrir plusieurs canaux côté Atlantique, les français -ceux qui ne sont pas morts- rentrent au pays, laissant derrière eux un cimetière français, pas loin du quartier où nous habitons. Ferdinand de Lesseps meurt 2 ans après, en 1894, ruiné et condamné pour trafics d'influence. En quittant le Panama, il laissse à un ingénieur français des Ponts et Chaussées, Philippe Bunau-Varilla, le soin de continuer à représenter la Compagnie Universelle du Canal Transocéanique qu'il avait créée.

Le Panama fait alors à cette époque encore partie de la Grande Colombie fondée par Simon Bolivar.

Les Etats-Unis de Colombie créés par Simon Bolivar

Mais il souhaite prendre son indépendance. C'est alors que Philippe Bunau Varilla  fait entrer en scène les Etats-Unis. Il comprend qu'ils ont de l'argent et une armée dont il a besoin pour soutenir les insurgés.

Il mène donc une campagne de lobbying intense auprès des américains afin qu'ils construisent un canal là où les français avaient tenté de le faire, et non pas au Nicaragua comme ils le projetaient alors. L'Histoire raconte que l'astucieux ingénieur français convainquit le Senat américain en montrant les images du volcan Momotombo dont les coulées de lave avaient recouvert le tracé envisagé.

Philippe Bunau VarillaLe 18 novembre 1903, convaincus par l'idée du canal à Panama, Philippe Bunau Varilla (déclaré ministre plénipotentiaire de la nouvelle république du Panama pour son soutien aux insurgés) et le secrétaire d'Etat américain John M. Hay signent le traité de Bunau-Varilla-Hay. Par cet accord, les Etats-Unis promettent secrètement d'aider les panaméens dans leur guerre d'indépendance, et gagnent en échange une concession de 1432 km2 (soit une bande de 8,1 km) renouvelable tous les 100 ans (!) sur le tracé de l'actuel canal.

La "Zona Revertida"

Il n'y aura cependant pas eu besoin de guerre pour que le Panama obtienne en parallèle son indépendance : La Colombie, par simple télégramme, informera, quelques jours avant le Panama (Le 4 novembre 1903), qu'il lui accorde son indépendance. La Colombie n'avait en effet que peu de considération pour cette péninsule excentrée et maudite, où l'on mourrait sans explication...

La voie est libre pour les Américains. Le canal sera construit en seulement 10 ans et mis en service le 15 août 1914, juste avant la première guere mondiale. Ils garderont la concession totale de cette zone, véritable enclave américaine scindant le Panama en deux, jusqu'en 1977. Ce n'est qu'à cette date avec la signature des accords Torrijos-Carter que sera initiée la récupération progressive de cette zone par le Panama sur 23 ans. Au 1er janvier 2000, la zone du Canal est rendue complètement et définitivement au Panama. C'est pourquoi cette zone est encore aujourd'hui communément appelée ici "Zona revertida" : la zone rendue (aux panaméens). Le pays est donc complètement indépendant uniquement depuis l'année 2000...

Mais revenons en 1903. Les français ont largement échoué dans la réalisation du canal mais ont laissé les premiers travaux côté Atlantique en bon état. Les américains en ont aussi tiré des leçons, la première étant que des écluses sont indispensables à un projet financièrement réalisable. Ils profitent également d'équipements plus modernes, valorisent l'utilisation du chemin de fer déjà existant, et mettent à profit les récentes découvertes en médecine, qui tombent à point : En 1897, le médecin anglais Ronald Ross prouve que les moustiques sont vecteurs de la malaria (jusqu'à cette date, le « mauvais air » émanant des marécages était tenu responsable de la propagation de la maladie d'où son nom) et en 1901, Walter Reed, médecin américain prouve la transmission également par les moustiques de la fièvre jaune. Et même si les vaccins ne sont pas encore découverts, les américains commencent donc par couper toute la mangrove, faire des fumigations intensives et installer des moustiquaires pour tous les ouvriers, ce qui préserve drastiquement leur santé. Plus de seau d'eau pour rafraichir les chambres comme le faisaient les français.Ouvriers espagnols au début du XXeme siècle

Malgré tout, les ouvriers venus du monde entier restent méfiants. En novembre 1906, Roosevelt, alors président des Etats-Unis, décide d'aller inspecter le chantier pour motiver les travailleurs. Il proclame un discours resté célèbre ici au Panama : https://www.wdl.org/es/item/7060/. Durant des heures, il arrangue la foule et motive les ouvriers sous un ardent soleil. Tous ont des chapeaux qui illustrent d'où ils viennent, les mexicains, les espagnols, les equatoriens, etc. Alors pour montrer qu'il est des leurs, Roosevelt saisit le chapeau du premier ouvrier qui est à ses côtés: un équatorien d'une région du sud. Les images font le tour du monde avec Roosevelt et son chapeau. Et le petit chapeau équatorien devient pour tous le chapeau "Panama", symbole d'unité et de fierté. 

Astucieusement, les équatoriens ont accepté de le prénommer désormais ainsi mais ils continuent à le fabriquer. 

Des chapeaux panama dans un magasin équatorien

Le terme panama ne s'applique pas à une forme mais à une matière : la fibre de jeunes pousses de palmiers d'Équateur. Originellement, il se fabriquait exclusivement en feuilles de bombanaxa.

Certains modèles de panamas, très fins et de haut de gamme, peuvent se plier et se rouler sans perdre leur forme, ce qui est leur principale caractéristique. D'autres modèles, d'aussi bonne facture, reçoivent un apprêt qui les empêche d'être roulés, leur paille étant rigidifiée afin que la forme d'origine se conserve pendant plusieurs années. Le fait que ce chapeau ait été porté par de prestigieux chefs d'État et des stars de cinéma contribua à ajouter au prestige et à la légende du chapeau de paille le plus célèbre qui soit. Ce produit, tissé entièrement à la main, se trouve à tous les prix selon la finesse de la paille : certains modèles comme le panama Montecristi extra fino peuvent dépasser les mille euros.

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Commentaires
Une tranche de vie au Panama
  • Me voilà au Panama en famille pour quelques années. Je vous invite à découvrir avec moi ce petit pays au delà de son canal et de ses papers, ainsi que les joies (et difficultés) de l'expatriation.
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